Ils ont été condamnés pour n'avoir pas respecté un accord de prévention des conflits.
Air France demandait 14 millions de dommages et intérêts. Elle n'a obtenu que 3 000 euros. Le 29 octobre, trois syndicats de personnels navigants commerciaux (PNC), c'est-à-dire les hôtesses et les stewards, ont été condamnés pour avoir provoqué une grève en 2007 sans respecter certaines dispositions. Le mouvement, très suivi, avait cloué pendant cinq jours plus de la moitié des avions d'Air France au sol en pleines vacances de la Toussaint.
Avant la fin du conflit, la direction avait estimé le coût de la grève à 54 millions d'euros et porté l'affaire devant le tribunal de grande instance de Bobigny. Air France reprochait à trois syndicats – le SNPNC, l'Unsa et Force ouvrière – de ne pas avoir respecté un accord de «veille sociale» signé quelques mois auparavant (le 19 juin 2007). Celui-ci prévoit que les syndicats doivent, en cas de litige, contacter la direction d'Air France. «En cas de différend aigu susceptible de générer un conflit, dit l'accord, il importe de toujours privilégier le dialogue et la négociation avant tout déclenchement de la grève.» Une fois contactée, la direction s'engage à répondre aux syndicats dans un délai de cinq jours et à les recevoir. En cas de désaccord, une deuxième rencontre doit être organisée avant le déclenchement de la grève.
Les syndicats expliquent ne pas voir respecter leur engagement en réponse à «la décision de la compagnie de réduire les délais de négociation d'un nouvel accord collectif». Le SNPNC, FO et l'Unsa se lancent dans la grève malgré tout.
«Cas de force majeure»
«L'enjeu en valait la chandelle», explique Antoine Santero, porte-parole du SNPNC. L'Unac, signataire de l'accord, préfère retirer son préavis plutôt que de s'exposer à un procès coûteux tandis que les autres syndicats (CGT, SUD) non-signataires font grève sans être inquiétés.
Les trois syndicats grévistes estiment qu'ils sont gagnants dans cette affaire : les dommages et intérêts de 1 000 euros par syndicat ne mettent pas leurs finances en péril. «Le juge a estimé qu'il y avait faute contractuelle mais ne nous a pas condamnés pour les préjudices subis par Air France, explique Antoine Santero. Cela aurait été une négation de notre droit de grève.»
«Si cette décision doit faire jurisprudence, on n'hésitera pas à faire grève dans les mêmes conditions la prochaine fois», renchérit un autre syndicaliste. Plus prudent, Antoine Santero estime que «le respect d'une signature est la règle, mais qu'il y a des cas de force majeure». La direction d'Air France indique de son côté ne faire «aucun commentaire tant que le délai d'appel n'a pas expiré».
Source : Le Figaro – Fabrice Amedeo – 26 novembre 2009
Décryptage :
Dans le cadre du renouvellement de l'Accord Collectif Global PNC, six syndicats (CFTC- SNPNC – FO – SUD Aérien – UNSA – UNAC/CGC) déposaient le 19 octobre à Air France un préavis commun pour un arrêt de travail les 25, 26, 27, 28 et 29 octobre 2007.
Le même jour, une lettre recommandé du Directeur Général Adjoint des Ressources Humaines et Affaires sociales d'Air France était adressée à quatre des organisations (SNPNC – FO – UNSA – UNAC/CGC) mentionnant un manquement au dispositif de "veille sociale" et les menaçant d'engager leur responsabilité financière "dans l'hypothèse où vous maintiendriez cet appel à la grève"…
La Direction entendait focaliser les discussions sur les menaces de contentieux tentant ainsi de faire renoncer les syndicats à la grève. Elle obtint satisfaction au moins sur un point : l'éclatement partiel du front syndical. Sa menace de représailles conduisit l'un des syndicats à retirer son préavis de grève… pour en déposer un nouveau du 1er au 3 janvier puis de le reporter du 1er au 3 février 2008 et jamais mis à exécution en définitive…
Malgré ce déballonage, le SNPNC, FO et l'UNSA maintiendront le préavis après avoir obtenu de leurs avocats respectifs que la jurisprudence nous était favorable et nous exposait, au pire, à une condamnation toute symbolique… Le mot d'ordre sera suivi de façon historique !
Le 26 octobre, sans même attendre la fin de la grève, la Direction a fait délivrer assignation aux trois syndicats, dont le SNPNC, devant le Tribunal de Grande Instance de Bobigny, leur réclamant à titre de réparation des "pertes" liées à la grève, des sommes astronomiques. Le SNPNC – sans doute en hommage à sa combativité et à sa représentativité ? – se voit réclamer la condamnation la plus élevée des trois demandes 15.114.542 € ! Vous avez bien lu : 15.114.542 euros…
Bien évidemment le SNPNC contestera cette demande en soulignant notamment le contexte – négociation d'un nouvel accord collectif global (ACG) PNC et inertie d'Air France pour entamer et poursuivre les négociations, intransigeance de la Direction sur le contenu de l'ACG et absence de relation causale entre l'exercice du droit de grève et les pertes alléguées par Air France.
L'affaire a été plaidée le 18 juin 2009 devant la première Chambre du Tribunal de Grande Instance de Bobigny. Le délibéré, c'est à dire le verdict, a été rendu le 29 octobre 2009. Si la faute contractuelle des trois syndicats a été retenue, la condamnation par le Tribunal est sans rapport avec les sommes demandées par Air France : 1000 € chacun.
On ajoutera que, comme c'est souvent le cas en la matière, le Tribunal condamne chacune des trois organisations à verser à Air France 300 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile (qui concerne les frais engagés pour le procès).
Si le SNPNC ne saurait se réjouir d'une condamnation, il n'en estime pas moins que le recours au conflit collectif était indispensable face à une Direction butée qui avait, entre autres, amputé unilatéralement le délai de neuf mois de négociation pourtant prévu contractuellement…